AMOK
Bali, l’île du paradis, cache un terrible secret.
Dans les villages isolés, des centaines de malades mentaux vivent en captivité et sans aucun espoir de traitement.
Certains sont enchaînés, d’autres enfermés dans des cages de fortune ou le pied bloqué dans une entrave de bois, pendant des mois et la plupart du temps, des années.
Bien souvent, ce sont les familles des malades qui décident de ce châtiment. Démunies, persuadées que les membres de leur famille sont habités par le « amok », elles agissent davantage par désespoir que par cruauté.
Une psychiatre a décidé de leur venir en aide.
Luh Suryani parcourt les régions reculées de l’île pour secourir ces hommes et ces femmes prisonniers de leurs chaînes et de leur folie.
avec Nadjet Cherigui
mai 2011
Inanga a 56 ans.
Sa famille vit au milieu de la jungle et a décidé de l'enchaîner il y a 5 ans, à cause de ses crises de démence.
Luh Suryani et ses volontaires viennent juste de le découvrir.
La famille d'Inanga considère que son esprit est possédé par le "amok", la folie.
Suryani écume l'île avec ses bénévoles depuis 6 ans.
Elle s'occupe du suivi du traitement de ses patients.
Elle a déjà réussi à faire libérer une cinquantaine de malades depuis le début de son action.
Mais elle découvre de nouveaux cas de personnes enchaînées très régulièrement.
La plupart des malades n'ont pas été lavés ni libérés de leurs chaînes depuis des années.
Tous dépendent du bon vouloir de leur famille pour se nourrir. Personne ne vient plus leur parler.
C'est grâce à sa fortune personnelle et à l'investissement de sa famille que Suryani peut mener ce combat pour les enchaînés.
Elle ne perçoit aucune aide du gouvernement et sa cause est très peu connue des ONG.
Made Sarinadi a 31 ans. Découvrant sa "folie », son mari l'a abandonné il y a 15 ans, partant avec leurs deux enfants. Pourtant, elle n'a jamais été violente. Depuis, elle vit totalement isolée. Enfermée, dans une pièce minuscule, en face de chez sa mère, elle passe ses journées allongée sur une planche de bois, dans le noir.
A vivre comme des animaux, épuisés, mutiques, désespérés, peut-être peu conscients de leur situation, les enchaînés se laissent aller a l'abandon et lâchent prise sur le monde.
La mère d'Igade Karta a 82 ans. Elle vit avec son fils et ses chiens.
Ils sont totalement isolés dans la montagne et n'ont aucun moyen de subsistance.
A part le riz que les voisins leur apportent irrégulièrement.

Igade Karta est malade depuis 10 ans.
Enchaîné depuis 7 ans, il ne parle plus et n'a aucun contact avec l'extérieur.
Il est entravé par deux chaînes aux pieds. Son frère a jeté les clés et vit maintenant dans une autre partie de l'île.
Wayan Resmini a 53 ans . Sa famille la laisse mourir de faim. Elle a perdu toutes ses forces.
Suryani a beau donner des médicaments a la famille de Wayan Resmini, son état ne s'améliore pas. Elle soupçonne que personne ne lui donne son traitement.
Elle est enfermée dans un cube de béton de 2m2 depuis 25 ans.
Les familles des malades agissent par désespoir et incompréhension, souvent insensibles à la médecine occidentale.
Loin du regard de tous, Suryani et son équipe tentent de convaincre les familles les unes après les autres d'un espoir de guérison pour les malades.
De rendre a chacun une part de décence et d'humanité.
Iketit a passé la moitie de sa vie enchainé.

Schizophrène et violent, il est attaché à côté des vaches depuis 20 ans.
Jour et nuit. Par soleil ou durant la mousson, Iketit survit ici.

Sa famille lui a installe un lit depuis un mois, sur la demande de Suryani.
Wetut a 65 ans .
Enfermé et enchainés dans une pièce sombre, il a fini par perdre la vue.
Le fils de Sarina s'occupe de sa mère depuis de longues années.
A l'époque, elle était "la plus belle fleur du village".
Peu a peu elle a commencé à entendre des voix et à être de plus en plus incohérente.Son mari est parti.Elle est encagée depuis 20 ans.
Régulièrement, Luh Suryani découvre de nouveaux cas de personnes enchaînées ou encagées.Elle pense que des centaines de malades vivent toujours dans des conditions inhumaines, sur l'île.
Suryani vient visiter un patient, devenu aveugle, après 10 années enfermé et enchaîné dans le noir.Il prend son traitement et semble être guéri, mais sa famille refuse de le libérer.
Au bout d'une allée de maisons fleuries. Un jeune homme a 21 ans vit à moitié nu, entravé à la taille par une lourde chaîne. Il pousse des cris stridents et parle de manière incohérente.Son père et sa mère ne s'occupent plus de lui. Ils refusent de lui donner un traitement médical. Ils ont honte de leur fils malade.